Post partum animale triste *
Quand j’ai dis au papa du petit garçon que je gardais le soir après l’école, quel était mon projet professionnel, il m’a répondu « c’est bien ça, pour les mamans qui font du baby blues ».
C’est quoi ce baby blues qu’elles font ?
Oui juste après la naissance, les femmes chantent le blues. La chanson de la nostalgie.
Voila la partition :
8h, elle regarde bébé endormi dans son berceau et une vague immense d’émotions la submerge : elle est fière d’avoir fabriquée cette merveille, elle est radicalement en amour de ce bébé, son bébé, il est parfait.
8H30: elle pleure doucement des larmes chaudes sur la douleur de ne plus se reconnaitre dans le miroir, sur son corps malmené pendant 9 mois et ce ventre toujours enflé…aurait-on oublié un jumeau ?
9h. Papa entre dans la chambre et aussitôt elle sourit de cette ressemblance qu’elle devine déjà entre père et fils, de ce que leur amour a produit.
9H30, Bébé se reveille, pleure, elle tente de lui présenter le sein mais il continue de pleurer en rejetant le mamelon. Elle se sent pitoyable, nulle, déjà mauvaise mère. Il y a bousculade au portillon psychique entre ce bébé hurlant et celui fantasmé pendant 9 mois.
Et le père ? Il est là, réduit à éponger les larmes, le lait et le sang qui coulent sans bien comprendre ce qui se passe. Elle le voulait pourtant ce bébé !
C’est la chanson du baby blues.
Une chanson douce à la musique puissante qui retourne le cœur et le cerveau des femmes. Elles la chantent toutes : les primipares et les multipares expérimentées, ce sont les mêmes paroles. Emotions superlativement labiles, la fatigue, le sentiment de vide dedans, et la faute aux hormones paraient-il…Rien n’est prouvé scientifiquement dans cette corrélation qui a la vie dure dans les esprits.
Elles pleurent celles qu’elles ne seront plus dans la joie d’avoir accompli une chose dont elles ne se sentaient pas capable : donner vie à un être humain qui est un autre.
C’est ça la chanson du baby blues : un tremblement de soi, un moment où le monde est à l’envers et où on n’est plus vraiment à l’endroit dans ses bottes. C’est la chanson du passage au devenir mère, temps de crise que celui de la matrescence.
Elle dit quoi cette chanson ?
Chanson triste au refrain joyeux qui dit qu’elles ont besoin qu’on écoute et qu’on accueille leur ambivalence.
Elles ont besoin de parler de toute cette complexité qui est venue avec la vie qu’elles ont données. Besoin de dire leurs doutes, leurs pensées au carrefour des générations, et les souvenirs qui se réinvitent quand mamie se penche sur le berceau… et aussi du deuil de sa vie d’avant, du corps qui a pris cher.
Devenir mère n’est pas un fait de nature !
Alors non ! Le baby blues n’est pas une dépression. Quelques soient ses différentes nominations aux détours du temps et des nosographies : post partum blues, syndrome du 3eme jour, cafard des accouchées ou encore fièvre de lait.
Si le blues évoque l’idée de broyer du noir, la dimension dépressive n’est pas prévalente. Emotions labiles, troubles de l’humeur aigus et transitoires : des montagnes russes !
Des larmes, mais qui peuvent aussi être des larmes de joie intense. Plus que déprimée et triste, irritable, la femme se sent lasse et hypersensible aux choses et aux gens, folle de son bébé (un véritable état de folie décrit par Winnicott « préoccupation maternelle primaire » et qui va se résorber).
Le baby blues alors c’est quoi au final ?
Un processus normal, adapté à la situation et opportun. Il dit simplement que les bouleversements que la jeune mère rencontre méritent d’être écoutés, accompagnés et que si il y a matière à le soigner c’est en prenant soin de le laisser s’exprimer, en prendre soin au sens d’y porter attention en le sortant de la banalisation : « c’est rien, c’est le baby blues, ça va passer » !
Et la dépression alors, ça n’existe pas ?
Parlons d’autre chose alors, parce que celle là, c’est une maladie. Une vraie de vraie ! Elle est sournoise elle couve et prend son temps. Ou alors elle débarque juste derrière le baby blues. Et elle met la jeune mère KO.
Les papas ne sont pas en reste d’ailleurs, eux aussi ils dépriment du post-partum et d’autant plus que la maman est touchée.
Le signe majeur est la tristesse, l’humeur est dépressive, les pleurs sans motifs. La femme se sent apathique, lasse, sans énergie. La culpabilité, le sentiment d’incompétence, d’être inutile, nulle est présent. La concentration et la mémoire sont aussi impactées. Le sommeil est très perturbé (hypersomnie avec fatigue résiduelle ou insomnie) avec l’impression de ne pas récupérer. L’appétit aussi subit des bouleversement (perte ou excès d’appétit) ainsi que la sexualité (perte de libido). Des phobies d’impulsion peuvent apparaitre avec la peur de faire mal au bébé. Des idées noires qui peuvent aller jusqu’aux idées suicidaires font aussi partie du tableau nosographique.
Autant dire qu’il y a urgence vitale à agir, pour la vie de la mère mais aussi pour le développement psychique du bébé. Consulter son médecin qui peut prescrire des anti-dépresseurs ou entamer une psychothérapie sont 2 axes qui permettent de mener à une guérison complète.
Il existe une échelle psychopathologique de mesure de la dépression post-partum : l’échelle de dépression post-natale d’Edimbourg. Elle permet d’évaluer, sous forme d’auto-questionnaire, l’intensité de l’état dépressif. Un médecin, une sage-femme, un psychologue sont à même d’évaluer les signes de la dépression avec cet outil.
La culpabilité, la honte de ne pas répondre aux standards idylliques de la maternité instagramable empêchent souvent la parole de se libérer et les mamans donnent souvent le change et supporte de surcroit cette pression sociale.
Qu’elles chantent leur blues ou qu’elles tombent dans les abimes de la dépression jusqu’à la mort (rappelons qu’en France, chaque mois, une femme meurt d’un geste suicidaire dans la première année du post-partum), ouvrons nos écoutilles, nos cœurs aussi à la douleur des mères, même petite, même passagère et laissons les exprimer toutes les nuances du post-partum.
*J’ai emprunté ce titre à Michel Briex, Gynécologue-obstétricien, au CH de Libourne dans son article paru dans la revue Spirale N°101