Histoires d’eau qui soigne

par | Oct 27, 2022 | Psychanalyste

J’aime l’eau !

Boire en conscience quand la soif vous dévore.

Prendre un bain chaud, en vacances, dans une baignoire ancienne quand il neige dehors.

Nager dans une piscine en Toscane quand le ciel s’éteint.

Marcher dans les vagues en respirant l’iode à plein poumons…

Pas étonnant que l’eau m’ait accompagnée sur mon chemin de guérison. Elle est l’onguent des baisers maternels qui m’ont manqué.

La symbolique

Symbole de vie puisque l’espèce humaine et toute vie s’origine en elle.

La mer est la mère.

Son immensité est une représentation de notre vaste inconscient, de la sensation « d’éternité, sentiment comme quelque chose de sans frontière, sans bornes, pour ainsi dire “océanique” » (Freud, 1929) qui nous habite parfois quand on est poète. Il y a dans l’inconscient, comme dans la mer/mère, notre origine, nos premières cellules d’homo sapiens, nos premières sensations in utero perdues à jamais.

C’est aussi cette expérience d’infini que fait le fœtus qui paradoxalement manque de place dans son logis. Le seul monde qu’il connait, c’est celui de ce liquide dans lequel il baigne et qui lui apporte tout : chaleur, nourriture, sécurité. Il ne connait pas le temps, le manque. Il est la Totalité du monde, il est le monde. Cette Totalité que la maman en difficulté ne va pas être en capacité de reconnaitre dans son bébé : cet état archaïque qu’elle a connu, elle aussi, dans le ventre maternel !

C’est un des concepts de base en maternologie : il n’y a pas spécifiquement de maladie mentale de la jeune mère, il n’y a que des « troubles de reconnaissance de la Totalité ».

Mer-mère

Wather-mother

Mare-madre

Assonances qui marquent la proximité des origines.

N’oublions pas que nous sommes constitués de 65% d’eau !

Rien de surprenant alors à ce que, depuis l’antiquité et sans doute bien avant, l’eau ait été utilisée comme thérapeutique sous forme de bain, de douche, de boissons y compris dans les maladies psychiques.

Au-delà de ses vertus reconnues, que ce soit eau de source ou de mer, elle permet de renouer avec ce qu’il y a de plus fondamentale, de plus archaïque dans notre histoire. Et c’est cela qui est thérapeutique dans toutes les histoires d’eau.

« L’eau, de par sa nature, est régressive ; c’est un nid, une enveloppe, une trace du passé lointain ». Dr Henri Brosseau, psychiatre

Thalassa ou les origines du monde

Dans « Thalassa », une de ses œuvres majeures, Sandor Ferenczi, psychanalyste contemporain de Freud, revient sur cet aspect des débuts de la vie.

L’eau est présente dès les premières secondes de notre vie in utero. Nous passons dans le ventre maternel, 9 mois plongé dans ce liquide amniotique qui se renouvèle de façon incessante…de façon infinie comme infinie est la mer.

Parce que oui, nous avons tous un arbre généalogique mais quid de notre arbre phylogénétique ? Celui de notre espèce, celui des débuts de l’humanité, de la vie sur Terre !

La théorie à la mode à l’époque de Ferenczi, c’est la théorie de la récapitulation …en bref, dans  notre développement de embryon-fœtus humain, nous retraversons (en partie) les étapes de développement de notre espèce. Au début du développement embryonnaire, il n’y a pas trop de différence entre l’embryon d’une poule et celui de bébé sapiens.

Avouez que sur la première échographie, on ressemble beaucoup à ça non ? Vous la voyez la petite queue de têtard au bout de la colonne vertébrale ? Heureusement, elle ne va pas rester là bien longtemps!

Quand nous flirtons avec le milieu aquatique, c’est une double régression temporelle que nous effectuons : nous retournons dans le ventre maternel mais aussi dans l’océan de la préhistoire où notre espèce s’est développée.

L’eau, médiation dans les soins psychothérapeutiques

Je rapporte ici quelques expériences de soins psychocorporels qui utilisent l’eau comme médiateur, pour dire combien cette médiation aquatique peut être puissante.

La plongée qui soigne

L’eau comme soin dans cette clinique du Loir et Cher, expérimenté avec des personnes souffrants de troubles psychotiques graves. Des séances en piscine qui progressivement ont conduit à des séances de plongée sous marine et des séjours thérapeutiques à Antibes et Belle Île en Mer.

L’amélioration après la pratique de la plongée a été importante et possiblement durable quand l’expérience était renouvelée régulièrement.

« C’est un milieu régressif, enveloppant et porteur : plusieurs patients ont vécu dans leur petite enfance des carences graves de maternage » Dr Henri Brosseau, psychiatre.

Le soin piscine dans la relation précoce

Alors pour éviter d’en arriver là, on fait en unité mère Bébé (celle de Montfavet), des soins en piscine. L’eau est un élément médiateur et permet de rejouer les interactions mère-bébé dans une « enveloppe sécurisante et maternante pouvant servir de berceau psychique à la mère et son enfant ».

L’eau n’est pas soignante en soi sans la présence, la contenance et les mots posés par les soignants qui assument ici la mise en sens (fonction alpha de Bion).

La cure de packs

J’en parlerais plus dans un prochain article en lien avec la fonction contenante justement.

Mais le principe est le même que pour le soin mère/bébé.

La personne est enveloppée par plusieurs couches de draps humides pendant 30 à 60 minutes. Le corps passe par une étape de réchauffement physiologique qui met au travail la psyché. Puis, on retire les enveloppes humides. S’ensuit un enveloppement sec et des massage pour réunifier le corps dans des couvertures chaudes.

L’enveloppe constituée par les draps forment la fonction contenante et les soignants remplissent la fonction alpha (dévolu originairement à la mère) pour que se rejouent des sensations-perceptions archaïques du lien précoce.

Pour finir

Mère et mer dans la fiction « post-partum »

Je ne voudrais pas finir sans parler de ce fabuleux film qui traite de la folie d’une femme devenant mère, jouée par Mélanie Doutey.

Bande annonce:

https://www.youtube.com/watch?v=UG-0Tmkbe68

https://cinepsy.com/film/post-partum/

L’histoire se déroule sur la côte Atlantique et la mer/mère y joue un grand rôle, sinon le premier puisque qu’elle va s’avérer être plus que le symbole maternel pour Luce, l’héroïne du film, elle va être la mère incarnée !

Je ne vais pas spoiler, mais la symbolique maternelle avec l’élément eau est puissante et court tout au long du film : le drame commence quand Luce « perd les eaux », le bébé est en avance. Luce a déjà perdu les eaux puisqu’elle a aussi perdu sa mère/mer (les eaux de la mer/la mère).

Cette mère omniprésente dans l’esprit de l’héroïne pour alimenter son délire. Tour à tour, les algues, les poissons morts viennent ponctuer ce retour tragique dans le sein maternel.

C’est justement joué et filmé !

Bibliographie/ Sources

Thalassa, Sandor Ferenczi, 2018, Petite bibliothèque PAYOT

Psychanalyse de la naissance, Jean Marie Delassus, 2005, DUNOD

Le packing : technique, histoire

https://www.cemea.asso.fr/spip.php?article2942

Soin piscine dans une unité mère bébé.

https://www.cairn.info/revue-spirale-2006-1-page-129.htm

L’eau et les soins avec les malades psychotiques chroniques

https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2002-1-page-39.htm